*A propos d'une gifle*
"Quand les relations entre profs et élèves sont réglées par la violence ou le procès, c'est l'école même qui est en cause
Imaginez. Vous êtes professeur de technologie au collège de Berlaimont,
dans le nord de la France. Dans un geste d'énervement, vous avez jeté à
terre les affaires d'un élève récalcitrant (11 ans). *«Connard !»*, a
répliqué celui-ci. Que faire ? Vous avez deux secondes pour réagir. Si
vous ne faites rien, si vous ne reprenez pas la main dans les deux
secondes, adieu votre autorité. La prochaine fois, un autre élève ne
vous ratera pas. Alors, la gifle qui part n'est pas une solution. Les
profs ne doivent pas gifler les élèves. Mais ce n'est pas non plus un
acte de violence délibéré. C'est une mesure conservatoire. On verra
ensuite...
Car une classe est un psychodrame permanent. Il se passe toujours
quelque chose, séduction ou intimidation mutuelle, entre le prof et les
élèves. Si un prof perd une fois son autorité, il ne la retrouvera
jamais. S'il perd le contrôle, la débâcle est assurée. Sa vie devient
un enfer, sa classe, un
bordel. Les culs-bénits de la pédagogie ne vous diront jamais ce qu'il
faut faire quand on se fait traiter de connard. Quant aux parents
d'élèves à l'idéologie maternitaire, faux jetons comme pas un, ils
demanderont avec véhémence que l'on rétablisse enfin une autorité
qu'ils auront tout fait pour démolir.
Je viens de prononcer un mot tabou : autorité. Il ne faut pas *faire*
preuve d'autorité, décrète-t-on aujourd'hui, mais il faut *avoir* de
l'autorité pour éviter les débordements. Va comprendre, Charles. Mais
d'où vient-elle, cette autorité ? Pas de la force physique, évidemment
(à un contre vingt-cinq !). Pas non plus du savoir, depuis que l'on a
décidé que le savoir est la chose du monde la mieux partagée, que, du
reste, les enfants le possèdent naturellement, et que l'effet de la
pédagogie est seulement de les aider à le leur révéler... Vient-elle
alors des parents, qui prennent désormais systématiquement parti pour
leur rejeton ? Ou de la société, quand chaque soir la télévision
explique à l'élève que son prof est effectivement un connard qui fait
les pieds au mur pour 2 000 euros par mois, quand on peut en gagner
cent, voire cinq cents fois plus en étant dealer ou trader, Zidane ou
Bouton ?
Alors, ne nous y trompons pas. Quand, à l'intérieur de l'école, les
relations entre profs et élèves sont réglées par l'intimidation, la
violence ou le recours au juge; quand, dans le cas que je viens de
citer, l'élève insulteur s'en tire avec quelques heures de permanence
tandis que le prof gifleur écope d'une suspension, d'une garde à vue et
d'une comparution en correctionnelle, la question n'est plus de savoir
qui a tort et qui a raison : c'est le principe même de l'école qui est
en cause.
Dans une société stupidement militariste comme la nôtre, l'école ne
saurait être qu'une survivance, une garderie, et le prof, un montreur
d'ombres chinoises. Il faudra bientôt faire sans elle.
*Si les enseignants croient encore à leur métier, ils se mettront en
grève générale le 27 mars, date à laquelle le prof sera traîné devant
les tribunaux*.
C'est le moment que la commission Attali choisit pour ajouter au socle
des connaissances exigibles dans le primaire *«la maîtrise d'Internet,
la capacité de travailler en groupe, la maîtrise de l'anglais, le
développement de la créativité ou l'apprentissage de l'économie... sans
pour autant alourdir la charge scolaire de l'enfant» (sic)*. Comme 30%
sortent de l'école sans savoir lire ou sans comprendre ce qu'ils
lisent, le métier d'instituteur, qui était déjà une joie, va devenir un
bonheur permanent.
D'autant plus que l'évaluation de la pédagogie du professeur se fera
désormais *«aussi»* par les élèves. Je note toutefois qu'aucun
banquier, aucun industriel au sein de la commission n'a proposé que les
PDG soient désormais évalués par les OS.
Pendant ce temps, la commission Pochard, pour ne pas être en reste, a
proposé que le mérite - pardon la performance - soit désormais pris en
compte dans la rémunération des profs ! Il ne faut pas s'arrêter en si
bon chemin. Je demande que les honoraires des médecins dépendent
désormais de la guérison des rhumes, le traitement des juges du nombre
de récidives, celui des ministres et du président de la combe du
chômage. Je crains pourtant que les profs soient seuls victimes du
crétinisme managérial qui a envahi la France. Tant il est vrai que la
Révolution française a garanti à chaque citoyen le droit
imprescriptible de débiter, dès qu'il s'agit de l'école et des maîtres,
toutes les sornettes qui lui passent par la tête."
*Jacques Julliard*
Le Nouvel Observateur, 14-20 février 2008